Tutoriels - Partie II : Le Grand Boubou se calme

Le mois dernier, j’ai émis quelques réserves quant aux tutoriels, ce mode d'explication des règles tiré du jeu vidéo, que plusieurs aiment transposer dans le jeu de société. J’aimerais poursuivre l’analyse ici et voir si tout de même, il n’y a pas quelques leçons que nous pourrions tirer des tutoriels, si nous ne pourrions pas en importer des éléments. 

 

Les tutoriels peuvent s’incarner de différentes façons, à différents degrés dans le jeu de société.

 

- Il y a d’abord les jeux dans lesquels les tutoriels sont “complets”, en ce sens qu’ils vous dictent vos coups, et obligatoires: This War of Mine et la série Fast Forward (Fuis, Forteresse, Frayeur, Fortune), Mechs vs Minions.

- Puis on trouve des cas où le tutoriel est proposé, sans être obligatoire, notamment pour Root, où chaque joueur joue selon un ensemble de règles différentes. 

- On note ensuite que plusieurs jeux profitent des scénarios à partir desquels ils sont construits pour étoffer les règles d’une partie à l’autre. Prenez pour exemple Mémoire 44 (où la première partie, le premier scénario, n’offre qu’une petite part de toutes les possibilités), Space Alert, Mechs vs Minions, Magic Maze. Tous des jeux où le dernier scénario représente peut-être la version “finale et complète” qu’envisageait l’auteur. Ces jeux me semblent réussir, car leurs premières parties sont intéressantes à jouer en elles-mêmes.

Je songeais mentionner aussi les jeux de type Legacy, ou de nature évolutive, comme Pandémie Legacy et notre Zombie Kidz Évolution. Le premier cas m’apparaît moins du type “tutoriel”, car on ne fait pas qu’ajouter des éléments, on en remplace aussi, ce qui marque plus une transformation: le jeu se modifie plutôt qu’il se dévoile. Le second cas, Zombie Kidz Évolution, pourrait lui être considéré comme un long tutoriel, même si dans les faits, le jeu “final” n’a jamais été, dans notre esprit, le “vrai” jeu. Et pourtant, nous avons souvent eu la remarque “notre enfant n’aurait jamais pu jouer à un jeu avec autant de règles dès sa première partie”, signe que ce mode de jeu permet un apprentissage “supérieur”.

Il existe enfin une catégorie hybride, sans doute la plus intéressante, celle où l’apprentissage fait partie du développement du jeu, où le jeu comporte des formes partielles de tutoriel, sans que l’auteur ou l’éditeur n’y ait même songé.

Dans plusieurs jeux de placement d’ouvriers comme Caylus ou Agricola, certaines actions ne deviennent accessibles qu’en cours de partie. Cela permet d’écourter l’explication du jeu, d’accélérer le lancement de la partie. Et au moment où ces actions deviennent disponibles, les néophytes les comprennent bien plus facilement, parce qu’ils auront déjà joué quelques tours qui leur permettent d’en assimiler instantanément les tenants et les aboutissants.

 

 

Je vois une autre leçon à tirer de l’excellent Aeon’s end. Dans l’édition française (j’ignore si l’édition anglaise a fait de même) publiée par Matagot, on a assemblé les paquets de cartes de façon à ce que la mise en place de votre première partie, la plus cruciale, soit presque instantanée. Plutôt que d’assembler les pièces selon leur nature dans le rangement initial de la boîte à l'usine, et donc de vous demander de reconnaître les pions Machins, les jetons Bidules et les cartes Choses pour en donner la bonne quantité à chaque joueur, on a plutôt regroupé tous les éléments de matériel qui servent à la mise en place d’une partie d’apprentissage. Vous n’avez rien à trouver: tout est déjà prêt, en ordre, en bonne quantité. Et à votre prochaine partie, vous saurez à quoi servent chacune des pièces sans avoir eu à l’apprendre.

À la lumière de toutes ces réflexions, nous avons modifié notre façon d’écrire les règles de Zombie Teenz Évolution. Prochainement, je vous expliquerai quelles stratégies nous avons mis en place pour minimiser le plus possible les erreurs de règles.

Bref, comme éditeur de jeux de société, nous avons encore beaucoup à faire, beaucoup d’espace pour améliorer la prise en main de nos jeux, qui, je le rappelle, demeure sans doute la plus grande barrière pour la propagation de notre passion. :)

Portrait de Christian Lemay

Posted by Christian Lemay

Fondateur du Scorpion Masqué et professeur de littérature à la "retraite", Christian Lemay aime s'interroger sur le milieu du jeu de société, ses dimensions culturelle, commerciale, créative, et partager le fruit de ses réflexions avec le public. 

À propos de Scorpion Masqué

Le Scorpion Masqué est un éditeur de jeux québécois basé à Montréal membre du Groupe Hachette. Depuis 2006, leur passion est de concevoir des jeux de qualité pour les enfants, les adultes et toute la famille avec pour mission de créer des moments mémorables pour tous. Avec plus de 40 jeux publiés, le Scorpion Masqué est désormais reconnu à l’échelle internationale avec une présence dans plus de 45 pays, et plus de 2.5 millions de jeux vendus depuis sa création. Parmi les succès récompensés du Scorpion Masqué : Zombie Kidz Évolution, Decrypto, et Turing Machine